La Petite Grande Histoire

L'anglais qui voulait courir sous les 4 minutes

December 13, 2022 Caroline Da Fonseca Season 1 Episode 2
La Petite Grande Histoire
L'anglais qui voulait courir sous les 4 minutes
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, nous revenons sur l'histoire inspirante de Roger Bannister, un anglais qui a battu un record que tout le monde pensait impossible à battre: courir le fameux 'mile' sous les 4 minutes...  

Crédits musique: License Artlist - Freesound Attribution 4.0 License, MarwanAntonios freesound.org/people/MarwanAntonios/sounds/565047

La Petite Grande Histoire est un podcast qui met en lumière des hommes et des femmes dont le nom ne vous parlera sûrement pas, et qui pourtant ont un impact considérable dans leur discipline ou même dans notre quotidien.

Aujourd’hui, j’avais envie de vous partager l’histoire d’un as de la course à pied, Roger Bannister, qui a battu un record que tout le monde pensait impossible à battre - l’opinion publique, les scientifiques, les journalistes sportifs, les coureurs eux-mêmes - tout le monde. Tellement impossible que Roger Bannister a aujourd’hui un concept à son nom, c’est l’effet Bannister. Quand on prouve aux autres qu’une limite peut être franchie, alors les autres se mettent à y croire et parviennent eux aussi à franchir cette limite. 


Ce podcast met en lumière des parcours d’hommes et de femmes dont le nom ne vous parlera sûrement pas, mais qui ont un impact et une influence extraordinaire dans leur domaine ou même plus largement sur notre société. Et pour ce nouvel épisode, je vous emmène sur les pas de Roger Bannister et de son ‘mile’ couru en moins de 4 minutes. 


Alors, qui est Roger Bannister ? Et d’où est-ce qu’il vient? Roger Bannister, c’est un anglais, qui naît dans les années 20, dans une famille de classe moyenne. Et c’est au collège qu’il se découvre une vraie passion et un talent pour la course à pied. Il remporte à 3 reprises une compétition dans son département. Donc la course et lui, c’est une véritable histoire d’amour qui commence.


Donc Roger grandit, et à 17 ans, il veut rejoindre l’université d’Oxford pour devenir médecin. Malheureusement ses parents ne peuvent pas lui payer ses frais de scolarité, mais grâce à la course il va décrocher une bourse et réussir à rentrer dans cette université prestigieuse. 


Une fois qu’il est à l’université, il combine à la fois ses études et la course à pied. Il devient même président de l’association d’athlétisme et il devient de plus en plus connu dans le milieu. Il va d’ailleurs représenter l’Angleterre aux Jeux Olympiques d’Helsinki, en 1952, il est même favori pour la médaille d’Or. Mais finalement il n’arrive qu’en 4ème position, juste au pied du podium. Roger Bannister vit cette expérience comme un véritable échec, mais on va le voir c’est une frustration qui va énormément lui servir pour la suite. 


Et donc, après les Jeux Olympiques, il passe quelques mois à se demander s’il ne devrait pas se concentrer uniquement sur ses études, et abandonner complètement sa passion d’enfant. Mais il continue. Et il se fixe un nouvel objectif - devenir le premier être humain à courir le fameux ‘mile’ (soit une course d’environ 1600 mètres) en dessous des 4 minutes. Aucun coureur n’avait encore réussi à relever le défi, certains s’en étaient rapprochés dans les dernières années, mais tout le monde pensait que l’humain avait déjà atteint la limite maximale. 


Alors, un an après les Jeux Olympiques, Roger Bannister fait une première tentative, mais termine avec 3 secondes en trop. Mais cette tentative va lui faire comprendre que le record des 4 minutes n’est pas complètement hors de portée. Il y croit. 


Et le 6 mai 1954, à Oxford, alors que le matin même Roger Bannister était encore en train de travailler à l'hôpital, il décide d’effectuer une nouvelle tentative…


En cette fin d’apres midi de mai 1954 sur le sentier Iffley de l’Université d’Oxford, Roger Bannister s’apprête à retenter une nouvelle fois le record des 4 minutes. Malgré un ciel menaçant, des milliers de spectateurs sont présents pour assister à un possible exploit. Pour s’imposer  un rythme soutenu lors de sa course, Roger Bannister sera aidé par deux meneurs, Brasher et Chataway. Le départ est donné, Brasher prend la tête et est chargé de donner le rythme à Bannister pendant les deux premiers tours. Puis, à 700 mètres de la ligne d’arrivée, c’est Chataway qui prend le relai et qui donne tout ce qu’il peut pour relancer l’allure. Et c’est le sprint final, Bannister s’envole avec son ample foulée vers l’arrivée. Bannister se jette sur la ligne d’arrivée, complètement épuisé. La foule est hystérique, dans l’attente du verdict final. Les chronométreurs se concertent, et le résultat tombe:  Roger Bannister a couru le mile en trois minutes, cinquante neuf secondes et 4 dixièmes.



Donc Roger Bannister devient le tout premier athlète à courir le fameux ‘mile’ en moins de quatre minutes.  Et pour la petite anecdote, après sa course, il s’est accordé deux heures de sieste avant de repartir faire une garde de nuit à l'hôpital. 


L'événement a tellement une valeur symbolique qu'il provoque même une interruption de séance à la Chambre des Communes. Alors, ce qui est intéressant de se demander c’est finalement: pourquoi lui a réussi et pas un autre? Pourquoi Roger Bannister arrive ce jour-là à battre ce record, et pas un autre coureur? Qu’est-ce qui a fait la différence? 


Déjà, un premier facteur qui a énormément joué, c’est qu’à l’époque non seulement on pensait que c’était un record impossible à battre, mais surtout que le corps humain ne pouvait pas endurer un tel effort. Certains disaient même que le cœur allait exploser si la barre des 4 minutes était franchie. Il faut savoir que le tout dernier record du mile remontait à 9 ans, le coureur était légèrement au-dessus des 4 minutes. Et donc depuis des années il y a cette idée un petit peu installée dans la tête des coureurs et des gens en général que l’être humain a atteint sa limite et que personne ne peut aller au-delà. 


Mais Roger Bannister, il ne croit pas du tout à ces théories. Pour lui, si l’humain peut courir 4 minutes et 1 seconde, il n’y a aucune raison pour qu’il ne puisse pas courir en 3:59 secondes. Il s’y connaissait suffisamment en médecine pour réaliser que la barrière des fameuses 4 minutes n’était absolument pas physiologique mais bien psychologique, donc dans la tête. Et d’ailleurs, le cœur de Roger Bannister n’a absolument pas explosé après son record, puisqu’il a vécu jusqu’à 88 ans. 


Donc Roger Bannister, lui, a l’intime conviction que c’est possible, qu’il peut le faire, il se met en condition et il s'entraîne dans cet état d’esprit-là. Et ce qui est intéressant, c’est qu’une fois qu’il a battu ce record, un de ses concurrents réussit aussi l’exploit - et fait même mieux - seulement 46 jours plus tard, alors que pendant des années et des années les compteurs étaient bloqués. En fait, l’impossible était devenu atteignable dans la tête des coureurs. Et à ce jour, le record a été battu par plus de 1500 athlètes - donc Roger Bannister a clairement donné une leçon de sport et de vie ce jour-là: les limites, même pour le corps, sont bien souvent celles que l’on se donne. 


Donc, oui, c’est certain, l’état d’esprit de Roger Bannister à croire que son objectif était atteignable a clairement fait la différence. 


Il y a aussi un autre facteur important qui a joué: Roger Bannister a remis en question les méthodes d'entraînement de l’époque pour trouver le rythme qui convenait le mieux à son corps et à son équilibre personnel. 


Par exemple, quand on lui disait qu’il fallait qu’il s'entraîne à plein temps pour pouvoir prétendre à une carrière sportive sérieuse, lui, ce qu’il voulait c’était faire de la course mais en parallèle il voulait aussi continuer ses études de médecine. Chaque jour, il pouvait s'entraîner maximum 30-40 minutes, pas plus. Donc il a complètement adapté son rythme et ses méthodes d'entraînement pour pouvoir conjuguer les deux. Et il y parvient: en plus d’avoir marqué le monde sportif par ses exploits, il finit ses études et devient neurologue. 


De la même manière, quand on lui disait qu’il fallait qu’il participe à pleins de courses pendant l’année pour se préparer à de grands évènements comme les Jeux Olympiques, lui, au contraire, ne voulait pas participer à trop de compétitions pour pouvoir se concentrer sur des événements clés. Il disait lui-même, ‘Je peux donner le meilleur de mes capacités une ou deux fois dans l’année’ (‘I can only win my absolute competitive best once or twice a year’). 


Et tout cela n’empêche pas bien sûr Roger Bannister de faire aussi évoluer ses méthodes en fonction des rencontres qu’il fait ou des objectifs qu’il se met, c’est finalement une constante remise en question.


Donc ça aussi c’est intéressant chez Roger Bannister, il n’a pas peur de remettre en question des idées ou des concepts qui étaient largement adoptés dans sa discipline, pour tout simplement trouver ce qui fonctionne le mieux pour lui. 


Et enfin, il y a eu un dernier facteur crucial qui a fait la différence pour battre ce record, c’est la concurrence. A l'époque de Roger Bannister, il y avait d’autres coureurs qui voulaient battre ce fameux record. Et donc il y avait une véritable émulation autour de: Qui va arriver à battre ce record le premier ? Et c’est cet environnement de compétition qui a permis à Roger Bannister d’être toujours tiré vers le haut, de se dépasser et ne rien lâcher. 


Et il y a en particulier 2 coureurs qui ont marqué l’histoire de Roger Bannister. 


Le premier, c’est John Landy, un australien. Alors que celui-ci rate complètement les Jeux Olympiques d'Helsinki, 6 mois après il améliore sa course de 8 secondes, ce qui est exceptionnel en si peu de temps, et s’approche très dangereusement du record que Roger Bannister cherche à battre. Pendant plus d’un an, il s'entraîne dur, se rapproche des 4 minutes, mais il n’y arrive toujours pas. 


Et finalement, une fois que Roger Bannister réalise l’exploit, quelques jours après John Landy arrive lui aussi à passer sous la barre des 4 minutes. Et, même quand le record est atteint, les deux coureurs ne vont jamais cesser de se défier, comme en cette journée d'août 1954…


L’autre grand concurrent, c’est Wes Santee, un américain. Il est talentueux, il évolue dans une université américaine. Il est lui aussi persuadé qu’il peut courir sous la barre des 4 minutes. Sauf que son université, elle désapprouve complètement cet objectif car elle veut privilégier d’autres types de course et ne s'intéresse pas du tout à son ambition du record. Et donc cela va énormément freiner Wes Santee pour aller chercher le record, car là où ses concurrents se concentrent à 100% sur cet objectif, lui, est malheureusement distrait par ses obligations universitaires. 


Et donc, voilà, il y a une véritable concurrence qui s’installe entre les 3 hommes pour décrocher en premier le record. Ces 3 coureurs suivent constamment les résultats des uns et des autres. Par exemple, une fois, quand Roger Bannister apprend que John Landy va participer à une course dans l’espoir de décrocher le record, il organise un événement en dernière minute quelques jours avant pour essayer de le décrocher en premier. Bref, c’est aussi ce contexte ultra compétitif - mais toujours dans un respect absolu - qui va aider Roger Bannister à réaliser cet objectif impossible. 


On arrive à la fin de ce podcast, j’espère que l’histoire de Roger Bannister vous a autant passionnée que moi. Ce qui est marquant dans son parcours, je trouve, c’est sa capacité à connaître son corps et son mental quitte à remettre en question des règles et des habitudes qui n’étaient jusque-là jamais remises en question. Et puis, aussi, évidemment, toutes ces barrières dites impossibles qu’il nous arrive de nous mettre, et qui sont souvent les plus difficiles à dépasser car elles sont profondément ancrées en nous.  


Si cette histoire vous a plu, vous allez adorer le podcast précédent qui retrace le parcours absolument captivant d’une championne de sumo japonaise. Et n'oubliez pas de vous abonner pour être alerté sur les prochaines histoires!