La Petite Grande Histoire
La Petite Grande Histoire
La sumo qui voulait mettre un pied sur le ring
Dans cet épisode, partez à la découverte de l'histoire absolument fascinante de Kon Hiyori, une championne de sumo japonaise qui n'a pas le droit de combattre officiellement sur un ring. Une véritable immersion au Japon dans ce sport mystique qu'est le sumo...
Droits musique: Taira Komori - Attribution 3.0 License - freesound.org/s/212110/
La Petite Grande Histoire est un podcast qui met en lumière des hommes et des femmes dont le nom ne vous parlera sûrement pas, et qui pourtant ont un impact considérable dans leur discipline ou même dans notre quotidien.
Aujourd’hui, j’avais envie de vous partager une histoire absolument fascinante, qui va vous faire plonger dans l’univers du Japon et plus particulièrement du sumo. Cette histoire, c’est celle d’Hiyori, une grande championne, qui a gagné beaucoup de titres, et qui pourtant n’a pas le droit de combattre officiellement sur un ring.
Ce podcast, il met en lumière des parcours d’hommes et de femmes dont le nom ne vous parlera sûrement pas, mais qui ont un impact et une influence extraordinaire dans leur domaine ou même plus largement sur notre société. Et donc pour inaugurer ce podcast, je vous emmène sur les traces de mon dernier voyage, le Japon.
Assister à un entraînement de sumo, c’était pour moi un incontournable à faire pendant ce voyage, parce que c’est le sport n*1 du Japon et finalement on en connaît très très peu de choses. Et c’est plus précisément à Tokyo dans ‘LE’ quartier du sumo, le quartier Ryogoku - que je prononce d’ailleurs sûrement très mal - que j’ai pu me plonger dans cet univers un petit peu mystique, et découvrir l’histoire de cette championne qu’est Hiyori.
Alors commençons par le commencement et revenons au tout début de son histoire. Hiyori, elle grandit au nord du Japon dans la préfecture d’Aomori. Aomori, c’est une région qui a fait émergé beaucoup de champions de sumo, et donc ce sport, il occupe une place centrale dans la vie des habitants. Pour vous dire, quand nous on a un terrain de foot ou un panier de basket en plein milieu de la cour de récré, Hiyori, elle elle dans son école, elle a un ring de sumo. Et puis, son grand frère pratique aussi ce sport. Donc finalement c’est un petit peu comme ça qu'elle s’y met.
Et Hiyori, elle est encore toute petite mais dès ses premières années, elle dégomme tout le monde. Elle va remporter tous ses combats, contre les filles, contre les garçons, peu importe, elle est douée et elle aime ça. Elle raconte d’ailleurs qu'à la base elle est d’une nature très timide, et qu’entendre crier son nom à chaque victoire ça lui boostait un petit peu sa confiance.
Et puis voilà, les années passent, Hiyori grandit, elle continue toujours avec passion ses entraînements de sumo, mais elle voit peu à peu les autres filles arrêter. Là où à l'école primaire, il y avait quasiment autant de garçons que de filles qui en faisaient, quand elle arrive à l'université a 18 ans, elles ne sont plus que quelques-unes.
Et ça s'explique très facilement: le sumo, au Japon, c’est un sport qui peut se pratiquer de manière professionnelle seulement par des hommes, alors que des femmes comme Hiyori elles doivent se résigner à en faire seulement en tant qu'amateur, en loisir. Donc les femmes dans le sumo, finalement, n’ont aucune perspective de carrière, elles ne peuvent pas du tout en vivre.
Alors, pourquoi c’est comme ça? Pourquoi les femmes ne peuvent pas devenir professionnelles au Japon?
En fait, il faut savoir, qu’à la base, le sumo c’est une pratique ancestrale qui est liée à la religion, celle du shintoïsme qui est l’une des religions principales au Japon avec le bouddhisme. Et d’ailleurs les premières traces du sumo remontent au 8ème siècle, et les combats étaient initialement des rituels du shintoïsme dédiés aux dieux pour leur demander une bonne récolte.
Et dans le shintoisme, le sang de la femme est considéré comme impur, alors que le ring du sumo, est lui considéré comme sacré. Donc autant vous dire que selon cette religion, le sumo et les femmes, ça ne fait pas bon ménage.
Et pendant très longtemps, les femmes ne pouvaient même pas venir dans la salle du combat, alors imaginez sur le ring. (4min30) Aujourd’hui, elles peuvent venir assister à un combat, mais toujours pas mettre un pied sur le ring. D’ailleurs, en 2018, il s’est passé un événement assez fou qui a pas mal fait parler et qui montre à quel point cette règle s’applique encore.
C'était lors d’un grand tournoi à Kyoto, qui est l’ancienne capitale du Japon. Ce jour-la, Il y avait un représentant politique qui était en train de faire un discours en plein milieu du ring, et d’un coup il fait un malaise. Donc y’a une infirmière qui se précipite sur le ring pour lui porter secours. Elle lui fait un massage cardiaque mais on lui ordonne de sortir du ring. Donc le gars est en train de mourir, et on empêche cette femme de le sauver parce qu’on pense qu’elle est impure.
Bref, c’est dans ce contexte qu’Hiyori se dit que de toute manière elle devra arrêter le sumo à 21 ans, après l’université. En plus du manque de perspective de carrière, c’est un sport hyper exigeant que ce soit en termes d'entraînement ou de rythme de vie. Parce que, Être sumo professionnel, c’est un véritable art de vivre: les sumos ensemble vivent sous le même toit, ils doivent prendre en moyenne 8000 calories par jour, pour se rendre compte c’est l’équivalent de 25 cheeseburgers dans la même journée. Ils doivent suivre des entraînements très exigeants, et ils ont aussi des règles strictes à suivre en dehors du ring. Par exemple, ils n’ont même pas le droit de conduire de voiture et ils ont un code vestimentaire précis quand ils sont dehors.
Finalement, un rythme et une exigence très peu compatibles avec une vie en amateur et en loisir. Donc Hiyori, elle est censée arrêter le sumo, mais ça ne va pas se passer tout à fait comme ca, et cela pour 3 grandes raisons:
Déjà, Hiyori elle remet pas mal en question le système actuel notamment quand elle étudie à l’université la théorie des genres, et aussi simplement parce qu’elle est profondément passionnée par son sport et qu’elle veut qu’il soit pratiqué sans distinction aucune. Et c’est elle qui le dit, pour faire du sumo on a simplement besoin de son corps, donc c’est un sport qui devrait être beaucoup plus accessible.
Ensuite, à force de participer à des tournois internationaux quand elle est étudiante, elle se rend compte que ses adversaires ont souvent la trentaine alors que dans sa tête, après 21 ans, c’était mort, elle était censée arrêter. Donc disons que ça lui donne des modèles à suivre et ça lui ouvre un petit peu ses perspectives.
Et puis, dernière raison, et c’est ce qui va énormément l’aider, Hiyori elle réussit à se trouver un travail dans les ressources humaines dans une entreprise japonaise, qui accepte de la sponsoriser pour ses combats de sumo. Il faut savoir qu’au Japon c’est assez courant pour des grandes entreprises d’avoir leurs propres équipes de sumo - mais c’est très souvent restreint aux hommes, mais Hiyori elle parvient à se faire une place dans cette équipe en tant que tout première femme.
Aujourd’hui, Hiyori continue le sumo grâce à son entreprise, d’ailleurs, depuis, deux autres femmes l’ont rejointe dans l’équipe - donc elle a clairement ouvert la voie. Elle continue de faire la promotion de son sport, au Japon mais également à l’international. Et elle a même été élue par la BBC en 2019 parmi les 100 femmes les plus inspirantes et influentes du monde. Et d’ailleurs, si vous voulez en apprendre plus sur son histoire, il y a un super documentaire sur Netflix: Little Miss Sumo.
On arrive à la fin de ce podcast. S’il y a une seule chose à retenir de cette histoire je trouve, c’est qu’à la base, c’était pas du tout gagné pour elle, elle revient vraiment de loin. Elle a eu plein d'occasions d'arrêter, mais finalement sa passion a toujours pris le dessus, ça et l’envie de bousculer des traditions ancestrales. C’est d’ailleurs ce qui peut permettre au sumo de trouver un second souffle en se modernisant, face à la concurrence de sports comme le baseball et le foot qui sont très regardés par la jeune génération au Japon.
Elle a construit son parcours pas à pas, avec des doutes, des portes fermées, de la passion et de la résilience - et aujourd’hui elle ouvre la voie à pleins d’autres !